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Gabrielle Lethiec et Jeanne Pichon à propos d’Eva Perón : « La mise en scène c’est porter son intérêt sur la forme et pas que le fond »

Une interview exclusive de Gabrielle Lethiec et Jeanne Pichon, deux jeunes metteuses en scène à l’occasion de leur première représentation : Eva Perón, d’après Copi.

Gabrielle Lethiec et Jeanne Pichon
On a rencontré Jeanne Pichon et Gabrielle Lethiec, deux jeunes metteuses en scène à l’occasion de leur première représentation, au théâtre du Parvis des Arts, à Marseille. La pièce qu’elles mettent en scène est Eva Perón, pièce de théâtre de Copi (1969). Celle-ci est jouée par la compagnie qu’elles ont créé : Compagnie l’Éloges (Paris). À travers cette adaptation, on est confronté·e·s en tant que spectateur·ice à l’agonie grinçante, presque burlesque, de Maria Eva Duarte de Perón, première dame d’Argentine qui s’est dévouée pour les femmes, travailleur·euse·s, “sans chemises” du pays. Sa mort subite en 1952 à 33 ans, parachève sa mystification et l’élève au rang d’icône, presque inhumaine.

Comment vous êtes-vous rencontrées ? Quel est votre parcours à chacune ?

Jeanne : Au Cours Florent en 3ème année, on était dans la même classe. Ensuite je suis restée à Paris et Gabrielle est partie faire son service civique à Marseille. On s’est retrouvées quand Gabrielle a voulu monter une compagnie et m’a demandé de faire la mise en scène avec elle. En dernière année, on avait pu faire pas mal de mise en scène, de création collectives, donc on se doutait que ça marchait bien entre nous.

Gabrielle : Il faut savoir que le Cours Florent est une école de jeu, dans laquelle il n’y a pas de cours en particulier. Les cours sont surtout définis par les professeur·e·s, on avait choisi un même professeur justement parce qu’il était connu pour donner de l’espace pour la création.

J : Par exemple, on avait trois heures de cours le matin et lui aimait bien nous donner simplement des élements comme: “L’éloge de la Pitié”.

Est-ce que la mise en scène vous a toujours attirées ? Avez-vous été inspirées par un·e metteur·euse en scène, une œuvre en particulier en vous construisant ?

G : Je pense que mon service civique à Marseille a été très formateur : j’ai travaillé à la médiation culturelle, à la mise en scène, et j’ai participé à la préparation des travaux de fin d’études des cours d’art oratoire du théâtre. 

J : Ca s’est renforcé en dernière année au Cours Florent, pendant mon travail de fin d’études. Mes inspirations sont plurielles, mais proviennent des pièces vues au théâtre. Les adaptations de textes classiques m’intéressent, on y trouve des strates de lecture différentes et complémentaires, tout ne repose pas uniquement sur le jeu des comédien·n·es, et la mise en scène peut changer une pièce. La mise en scène c’est aussi l’envie de dire des choses. 

G : On a aussi vu ensemble les Fables de Chyc Polhit dans laquelle une plasticienne était sur scène et illustrait avec du sable les fables comptées sur le plateau. Cela nous a évidemment beaucoup inspiré pour notre mise en scène par exemple. 

Ce texte se concentre uniquement sur l’entourage et la maladie asphyxiant Eva Perón dans ces derniers moments de vie. Pourquoi avoir choisi ce texte de Copi sur Eva Peron et pas un autre ?

G: En réalité, on est d’abord parties de Copi puis on a fait la découverte d’Eva Perón. Ce spectacle porte sur la fin de sa vie et le mythe de sa mort. Pour souligner la figure d’Eva Peron, sa mort prend une place plus forte. Sa vie a résonné par sa mort et par le mythe de sa mort, et ses conséquences pour la mémoire collective. Son corps, retrouvé et rendu, bien verrouillé sous terre, a permis de calmer le fantasme autour d’elle.

J: Notre génération connaît peu Eva Perón. Sa mort est presque plus longue que sa vie. Cette œuvre interroge la mort des idoles, l’impact que peut avoir cet évènement sur la mémoire autour de quelqu’un qui n’a vécu que 33 ans finalement. C’est bien la mort et son mythe plus que la figure d’Eva Peron qui nous intéressent à la base.

Votre mise en scène reprend les codes dramatiques et grinçants de Copi mais interroge surtout le rituel de sa mort. Quelle a été votre intention en adaptant le texte?

J: On tenait à respecter le texte. Mais on a décidé de ne pas prendre tout ce qu’il avait écrit. Cette distinction repose majoritairement dans le fait que notre mise en scène s’attarde beaucoup sur la question de la mort des idoles : on a voulu mettre en scène le mythe du clonage des corps. On a eu cette idée au début du travail notamment grâce à une série Disney + “Santa Evita” dans laquelle la question de son embaumement est beaucoup abordée. On voulait justement approfondir ce sujet dont Copi ne parle pas, lui aborde la folie et la maladie.

G : Cette mise en scène sert le mythe des clonages du corps d’Eva Perón à sa mort. Ce qui est le plus intéressant c’est que beaucoup d’éléments métaphoriques de la mise en scène viennent de la plasticienne Mathilde Tufféry. 

Vous êtes des femmes qui mettent en scène la vie d’une autre. Quelle envie ?

G : Comparé à la série citée précédemment qui l’exploite beaucoup, on n’a pas autant approfondi le kidnapping, mais il avait été réalisé par des hommes à l’époque. C’est un point important à soulever.

J : Oui, elle constitue une figure féminine cachée par des hommes, qui sont aussi des militaires. On n’a pas pu tout exploiter mais d’autres évènements marquent profondément sa condition de genre, le fait qu’elle soit morte d’un cancer du col de l’utérus à l’époque.

G: Elle aurait été élue vice-présidente avant sa mort. Et il y a encore tellement de choses.

Gabrielle Lethiec et Jeanne Pichon