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Liv Strömquist remonte à « L’origine du monde »

Dans un clin d’oeil au tableau éponyme de Gustave Courbet, l’auteure suédoise Liv Strömquist, dès le titre de sa BD, ne fait aucun mystère du sujet qui y sera abordé. Gratifié de surnoms fleuris tels que mont de Vénus, abricot ou encore berlingot, le sexe féminin est au coeur du propos de l’artiste, qui s’interroge sur les façons dont il a été perçu, représenté, maltraité ou rendu tabou au cours de l’histoire. Par ses textes plein d’humour et ses dessins au trait franc, souvent en noir et blanc, Liv Strömquist partage ses recherches dûment référencées sur ce qui influence encore aujourd’hui notre perception de l’entrejambe féminin.

Couvrez cette vulve que je ne saurais voir

Ce n’est pas le Tartuffe de Molière qui le dit, mais à peu près tous les artistes, scientifiques et politiciens des siècles derniers. En utilisant l’art du collage, mêlant dessins et photos d’archives, Liv Strömquist consacre un chapitre à examiner comment le sexe féminin est souvent représenté comme une absence, un vide, « un trou qui appelle à être comblé », pour reprendre l’expression de Jean-Paul Sartre tel que cité dans L’Origine du monde. Que ce soit dans les schémas de manuels de SVT, la musique populaire, ou la littérature, cette absence de parties externes du sexe féminin implique non seulement une palanquée de complexes pour nombre de femmes, qui peuvent même recourir aux services de la chirurgie esthétique pour modifier la taille de leurs lèvres, mais également une méconnaissance biologique des organes sexuels féminins. L’auteure en donne d’ailleurs un exemple : le mot « vagin », souvent utilisé à la place du mot « vulve ». Sans parler du clitoris, dont la taille véritable n’a été connue qu’en 1998.

Source : Fanny Viollet, Nus rhabillés, L'Origine du monde de Gustave Courbet (2012)

« L’historienne de la culture Mithu M. Sanyal affirme que le sexe féminin est souvent représenté comme un endroit vide, une sorte de défaut ou un manque, comme l’absence d’un pénis. Cette idée transparaît notamment dans notre façon de parler : une manifestation typique serait « les garçons ont un zizi mais les filles n’en ont pas ! »

– Liv Strömquist

Pourtant, Liv Strömquist partage de nombreuses images de statues et de gravures de traditions plus anciennes, où l’exhibition publique de la vulve constituait une représentation spirituelle et sacrée. En naviguant entre les mythes grecs, celtiques, micronésiens et indiens, l’auteure invite à découvrir des cultures différentes, qui, bien loin de masquer la présence du sexe féminin, le célèbrent et l’intègrent aux traditions religieuses.

« L’importance symbolique de cette exhibition de la vulve est difficile à saisir aujourd’hui, tant ce geste paraît totalement étranger à notre culture. »

– Liv Strömquist

Le rôle de la médecine et des sciences

L’auteure suédoise alimente sa réflexion d’anecdotes teintées d’ironie. Dans un autre chapitre de son oeuvre, elle élabore par exemple le top 10 des hommes qui, à travers l’histoire, se sont « un peu trop intéressés à la question du sexe féminin ». Pour n’en citer que quelques-uns, saviez-vous que le Dr. Kellogg (oui oui, l’inventeur des corn flakes) était un fervent partisan de l’interdiction de la masturbation féminine, pratique qu’il qualifiait de malsaine et aux origines sataniques ? (1) Et saviez-vous également qu’un groupe de chercheurs sont allés jusqu’à réouvrir le tombeau de la reine Christine de Suède en 1965, parce qu’ils n’étaient pas sûrs qu’elle ait réellement été une femme ? Liv Strömquist documente cet évènement avec un humour grinçant : il semblerait que la reine Christine eut montré des dispositions d’une intelligence tout à fait impensable de la part du sexe féminin, alors il fallait bien aller vérifier ses ossements pour pouvoir l’accuser d’hermaphrodisme en toute connaissance de cause (spoiler alert : ils n’ont rien trouvé de concluant). Et bien d’autres médecins et scientifiques après eux ont développé des théories aux conséquences néfastes jusqu’aujourd’hui encore sur la sexualité féminine.

Dessin d'une vulve par Loula R
Dessin de Loula R.

Liv Strömquist navigue ainsi entre personnalités historiques et personnages fictifs, explorant la construction des images de la séductrice lubrique et celle de la prude aux moeurs irréprochables et à la sexualité inexistante, abordant également le genre binaire, les menstruations, et l’anatomie, sans oublier d’ouvrir la porte à un autre monde, à une nouvelle vision : et si tous ces hommes avaient eu des loisirs un peu plus salutaires et créatifs ? Et si on arrêtait de vouloir tout mettre dans des cases et de tirer des conclusions hâtives sans demander leur avis aux principales intéressées ? Et si on parvenait à ouvrir cette réflexion simplement grâce à une BD ?

C’est réussi pour l’auteure, qui laisse cependant planer un léger sentiment de frustration au passage de la dernière page : elle a effleuré la surface de l’origine des inégalités et c’est aux lecteurs et lectrices de creuser plus profondément pour en savoir plus.

 

(1) : Pour en savoir plus sur le Dr. Kellogg : https://www.radiofrance.fr/franceculture/a-l-origine-de-kellogg-s-un-combat-anti-masturbation-4970278

En savoir plus sur Liv Strömquist

Liv Strömquist est une auteure suédoise de bande-dessinées, souvent humoristiques, pour lesquelles elle s’appuie sur de nombreuses recherches journalistiques référencées dans ses œuvres. Féministe engagée, elle s’inspire du mouvement punk et mélange dessins, collages et images d’actualité pour aborder les questions d’inégalités, de sexualité ou encore de fonctionnement du couple. Certaines de ses oeuvres ont été adaptées au théâtre, comme Les sentiments du Prince Charles.

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Un article par
Mathilde B.

Mathilde B.

Rédactrice pour vous faire découvrir des chefs d'œuvre de la littérature féminine

L'illustratrice de l'article
Loula R.

Loula R.

« Je gribouille des trucs »